jeudi 7 septembre 2006

AMERICAN WRITER

Vous allez me prendre pour un malade et un dégénéré mais c’est comme ça (et en plus j’ai l’habitude), J’ADOOOOORE les romans de Bret Easton Ellis ! Tous en plus !
Avertissement : cet article est long et sollicite les neurones (vous vous rappelez ? ces fameux neurones !) mais je me suis fait plaisir et c'est ce qui compte ... en plus ça va vous faire de la lecture pour le week-end !!!
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Né en 1964, élevé à Los Angeles dans un milieu assez favorisé, Bret Easton Ellis entre en littérature à 20 ans en 1985 avec Moins que Zéro, qui attire l’attention des médias (succès immédiat) en décrivant le retour dans sa famille d'un étudiant beau comme un dieu, drogué, bisexuel de la faculté. Le garçon s'ennuie à mourir chez ses parents, crève d'ennui, a quelques visions de son année scolaire, de ses activités de junky, de ses soirées, de ses discussions entre amis, de ses coups de reins et puis décide de repartir pour la fac. Point. L'intérêt principal ne repose pas sur l'intrigue mais sur sur le contenu de la narration, inédit et d'une légèreté qui glace les sangs.
Re-belote dans Les Lois de l'Attraction écrit à New York en 1987. Cette fois-ci, l'intrigue se complique et la narration est échangée entre les différents personnages, tous étudiants, qui décrivent leurs activités du jour, leurs soirées, leurs prises de stupéfiants, leurs soirées, leurs prises de stupéfiants, leurs soirées, leurs amours et aussi leurs prises de stupéfiants. Les témoignages des uns et des autres sont discordants et laissent apparaître des zones d'ombres, des mensonges qui créent une sorte d'attente, d'exaltation mi-policière, mi-voyeuriste. Les questions que se pose le lecteur ne vont pas chercher très loin. Sean est-il pédé ? Sean aime-t-il Lauren ? Lauren aime-t-elle Sean ? Vont-ils baiser ? Que va-t-il arriver à Paul ? Est-ce que la nana qui envoie des messages anonymes à Sean est Lauren ? Etc...
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Quelques années plus tard, ce type de questionnement aura envahi la planète au point de paralyser, quel qu'en soit le vecteur, toute forme de réflexion. Derrière la vacuité des personnages, les sentiments sont réels et l'auteur réussit l'exploit de les faire accoucher d'une sensibilité poignante, laquelle se dissout souvent d'elle-même faute de combattants.
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En 1990, l'éditeur Simon & Schuster offre à Bret Easton Ellis 300 000 $ d'avance pour son troisième roman, le formidable American Psycho. Un an plus tard, devant les protestations et les réprobations des ligues féministes (américaines, car il est considéré comme dangereusement misogyne!), l'éditeur se retire. Rapidement, Vintage, un autre éditeur reprend le flambeau et publie American Psycho un mois plus tard.
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Publication très controversée, menaces de mort, … n’empêcheront pas BEE de travailler sur Zombies, et de publier 3 ans plus tard ce recueil de nouvelles consacré au L.A. des 80’s boudé par les critiques.

En 1999, son 5ème ouvrage, Glamorama, est publié. Ce roman, qui lui a demandé 5 ans d'écriture, s'insinue pour la première fois sur le terrain politique mais, bien sûr, d'une politique absurde faite de mannequins terroristes et de reality shows téléguidés.

1985 est l'année Lunar Park, étrange ovni, critiques unanimes, qui nous présente une nouvelle facette d'un auteur mûri, vieilli, qui nous parle de lui sans détour. Apparemment …
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Avant Lunar Park, tous les romans de BEE regorgent de scènes choquantes et/ou violentes et American Psycho en est certainement l'un des plus représentatif (vite rejoint par l'excellent Glamorama), qui a horrifié et dégoûté un nombre importants de lecteurs à travers le monde. Jusqu'à sa publication, de nombreuses actions ont d’ailleurs été entamées pour interdire le livre. Certains considèrent même ce roman comme un exemple de l' art transgressif. Mais ce n’est pas ce qu’il faut retenir de ce formidable bouquin, évidente parabole sur l’amérique autosatisfaite des 80’s. Dans l'outrance d'American Psycho, l'effet d'accumulation et le tempérament du criminel, qui enchaîne les meurtres comme il ferait sa culture physique, plonge dans un malaise profond et amène à questionner, sans que cela soit explicité, la société qui conduit à de tels comportements.
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Les personnages de BEE savent très bien ce qu'ils ont à faire et sont, dans leur genre, des hyperactifs. Guère de pauses, guère de mélancolie, mais une exaltation permanente, un enchaînement diabolique d'actions absurdes au milieu desquelles ils s'essaient à grappiller quelques instants de bonheur véritable et peu importe si ceux-ci se résument à des coups tirés à la va-vite ou à des défonces réussies.

... J'ai manqué de vivacité, d'efficacité, je ne parviens pas à croire que j'ai fréquenté cette fille. Cela se passait à l'époque où elle commençait à vendre de la coke pour maigrir. Cela n'a pas marché. Je trouve qu'elle a toujours un gros cul, trop de graisse sur le corps, elle a les cheveux noirs et écrit une affreuse poésie, je suis écoeuré de l'avoir laissée me repousser. Je retourne dans ma chambre, claque la porte deux fois. Mon coturne est absent, je branche la radio, arpente la pièce. "Wild Horses" sur une station locale. Je change de station. "Let It Be". Et sur la suivante "Ashes to Ashes", puis une lugubre ballade de Springsteen, puis Sting qui sussurre "Every Breath You Take", puis quand je retourne à la station locale un connard de D.J annonce qu'il va diffuser les quatre faces de l'album "The Wall" des Pink Floyd. Je ne sais pas ce qui me prend mais je m'empare du poste et le lance à toute volée contre la porte du placard, mais il ne se brise pas, à mon grand soulagement, même si c'est un appareil bon marché. (.) Ensuite je prends une caisse de mes 45- tours, m'assure que je les ai tous enregistrés avant de les casser en deux, puis, si possible, en quatre. Je donne des coups de pied contre le mur de mon coturne, puis brise la poignée de la porte de mon placard. Après quoi je retourne à la party ...

Certes, il y a un arrière fond d'insouciance et de puérilité chez des personnages bloqués à l'adolescence mais toujours un grand sérieux dans l'accomplissement des actes qui amènent la jouissance ou, le plus souvent, la déception. Les sentiments sont contrariés et les velléités amoureuses, les vraies, rarement récompensées et jamais durables.

... Bruce chante "Johnny 69" et puis nous baisons. Et je jouis - pschit pschit - comme de la mauvaise poésie et quoi d'autre encore ? Je déteste cet aspect du sexe. Il y en a toujours un qui donne et un qui reçoit, mais il est parfois difficile de déterminer qui fait quoi. Difficile de se démerder avec ça, même quand tout se passe bien. Comme elle n'a pas joui, je recommence à la sucer, ça a un goût vaguement désagréable et puis. la désillusion s'abat sur moi. Je ne supporte pas de faire ça, mais je bande toujours alors je recommence à la baiser. Maintenant elle grogne, son corps monte et descend, je pose ma main sur sa bouche. Elle jouit, lèche ma paume, renifle, c'est fini. Susan ? Oui ? Où sont les Kleenex ?, je lui demande. Tu aurais pas une serviette ou quelque chose ? Tu as déjà joui ?, elle demande, étonnée, allongée dans le noir. Toujours en elle, je réponds : Ah oui, euh, je vais jouir, en fait je jouis. Je gémis un peu, grogne, puis me retire. Elle essaie de me retenir en elle, mais je lui demande des Kleenex. J'en ai pas, elle me répond, puis sa voix se fêle, elle fond en larmes. Quoi ? Qu'y a-t-il ?, je lui demande, inquiet. Attends, puisque je te dis que j'ai joui ...

Chez BEE, il n'y a aucun sens de la culpabilité qui survive à la fin d'un chapitre et cette amoralité de façade, à laquelle on ajoute un univers fascinant de pop (son fameux procédé du name dropping qui consiste à aligner des marques de produits ou ses discursives sur la musique de Duran Duran ou de Phil Collins), de célébrités et de beauté, fonde l'efficacité de la satire. L'anticipation est dans la description anecdotique de mouvements de société fondamentaux comme le culte du corps, la réalisation existentielle dans le sexe, l'égoïsme et la caricature des rapports humains. C'est une littérature de l'échec non assumée et qui est d'autant plus forte qu'elle prend racine aux Etats-Unis, pays conquérant, et dans des milieux outrageusement dominateurs. Le pouvoir est absent, construit sur des ascensions sociales qu'on devine en arrière-plan par des lignées familiales à l'agonie et dont les histoires annoncent la pourriture à venir de l'arbre généalogique. Et finalement, ce qui effraie, ce n'est pas tellement le temps de la narration mais ce qui se trouve en dehors : dans American Psycho le fait que Bateman soit blanchi, l'absence de sanction, l'impunité.
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A noter : BEE fait intervenir des personnages et des atmosphères récurrents. La plupart des personnages sont repris dans plusieurs romans, avec des rôles plus ou moins importants. Le Liberal arts college de Camdem est souvent mentionné, et est largement inspiré du lycée Bennington, où il a lui-même étudié. Ainsi, le personnnage de Sean Bateman dans Les Lois de l'Attraction est le petit frère de Patrick Bateman, le sérial killer magnifique de American Psycho. Sean fait d'ailleurs une brève apparition dans American Psycho lors d'un déjeuner avec son frère. On peut ainsi suivre le destin fragmenté de familles entières mais sans volonté affirmée d'évocation linéaire. De même, le personnage secondaire de Victor Ward, toujours dans Les Lois de l'Attraction est le héros de Glamorama où l'on retrouve égalemment le personnage de Lauren Hynde ...

Alors, ça vous titille pas un peu ?

J’ai « reconstitué » cet article à partir de tas d’autres dont l’excellent dossier « Le roman d'anticipation sociale anglo-américain » préparé par Benjamin Berton pour Fluctua.net

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Très bon résumé de la vie et l'oeuvre de BBE. Il manque simplement ses influences: Joan Didion, Hemingway...Et si ça t'intéresse, voilà mon avis sur "American Psycho":
http://20six.fr/wrath666/art/1304689/L_essence_d_un_tueur